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Marques et social média : l’ère des community builders

Feux de camps numériques

Bientôt, espérons-le, la pandémie sera derrière nous et l’heure viendra d’en tirer les enseignements. Plus que jamais, il faudra apprendre à faire la part des choses entre le superflu et l’indispensable, ce qui est utile et ce qui est futile, rationaliser l’ensemble pour revenir à des principes fondamentaux, notamment l’aspect communautaire. Décryptage.

L’émergence des feux de camps numériques 

Cette pandémie a consacré le sentiment d’appartenance. Il suffit de regarder les apps les plus téléchargées pendant cette période extensible (et reconductible ?) de confinement pour saisir l’ampleur de ce phénomène : Whatsapp, Zoom, Tiktok, Houseparty … Idem pour les jeux : Fortnite, Animal Crossing et j’en passe. Le phénomène n’est pas nouveau certes, mais la crise en a accéléré le cours. On l’a déjà évoqué ici à plusieurs reprises : les réseaux verticaux tels que Facebook, Snapchat ou Twitter sont attaqués par l’émergence de ce que j’appelle le “social by design” ou le “meta-social”. 

En d’autres termes : la composante sociale se greffe partout, dans chaque recoin du web ; un Google doc, une newsletter, un Slack, un Zoom, un Telegram … partout. Conséquence : les audiences des marques, qui pouvaient jusqu’alors être identifiées et ciblées à travers une dizaine de supports et quelques réseaux sociaux, sont désormais atomisées sur des centaines de canaux différents, certains plus atypiques que d’autres. Des milliers de feux de camps numériques où règnent la convivialité, les confidences, le lien intime. Si certains se voient de loin, d’autres sont en revanche plus discrets et rares, ce qui les rend d’autant plus précieux. Et pour chacune de ces communautés, un community builder. 

Celebration is the new community 

Mais de quoi parle-t-on exactement ? Je me suis entretenue avec Alexandre Durand-Chabert, spécialiste du sujet et fondateur d’Airparty, club pour des solopreneurs, des créateurs et des slasheurs qui mènent plusieurs projets de front. Cette communauté  vise à trouver ses pairs ainsi que des ressources exclusives et indispensables pour cartonner dans la Passion Economy. Selon Durand-Chabert, le community building est un art, une somme de compétences qui se retrouve chez les leaders en général. Barack Obama lançait il y a quelques jours encore aux étudiants des universités US à l’occasion de la saison de remise de diplômes : “build community, do what is right, be a leader.

Comment s’y prendre ? Le community building s’apparente à une grande réception de mariage que vous pourriez tenir dans votre maison. Il faut donc performer dans l’ “art of hosting”. N’invitez pas n’importe qui ; vos hôtes vont côtoyer un premier cercle de personnes que vous appréciez fortement. Si, pour entrer dans votre communauté, il suffit de remplir un formulaire sur internet, ne vous étonnez ensuite de voir naître des tensions dans la famille. Par ailleurs, il faut savoir :

Une main de fer dans un gant de velours

Le community building puise sa force dans la convivialité, le vivre ensemble. L’important dans un match de foot n’est pas tant le match en lui-même que ce qui se passe dans le bus avant, après dans le pub. Eh bien le community building, c’est pareil. Comme d’aller faire du shopping ou au cinéma entre amis. L’important, c’est d’être ensemble. Cet aspect est essentiel : les entrepreneurs qui le “pigent” marqueront le point avec leurs clients, transformeront leur audience en tribu de fans. Il y a du reste quelque chose d’assez contre-intuitif dans ce nouveau métier émergent ; c’est probablement pour cela qu’il n’est pas encore devenu “un métier” à part entière : on ne construit pas une communauté “pour des gens”, mais “avec des gens”. 

Le livre Get Together a bien formalisé cette approche : le membre doit pouvoir tirer parti du groupe en accomplissant des choses qu’il n’aurait pas été capable d’atteindre seul. Le but n’est pas d’être le centre du cercle mais d’être le cercle. Si vous avez pratiqué un peu l’intelligence collective, cette histoire de cercle doit vous parler, de même le community building. Idem si vous avez participé activement à la vie d’une asso, d’une communauté physique, politique : vous savez mieux que quiconque que le community building, c’est l’art de faire des clés de bras. Pas pour les briser quand cela vous énerve, ni les éviter si les mouvements sont brusques, mais pour les maîtriser. C’est tout l’art de faire respecter en respectant. Cela demande beaucoup d’humilité et beaucoup d’ambition à la fois. Encore une fois, très contre-intuitif.

Et les marques dans tout ça ? 

Avec l’avènement des group chats, des newsletters, des podcasts, des outils destinés à créer du contenu en général, fédérer des followers autour de soi n’est plus l’apanage de leaders dits charismatiques. En revanche, il y a une réelle différence entre le groupe et la communauté. Il est rare que les membres d’un groupe se connaissent tous entre eux. Dans une communauté, les liens sont beaucoup plus forts, la proximité de mise. Et c’est là que les bons community builders jouent leur carte, avec un objectif affiché de mise en relation des différents membres. Cette nuance est capitale, alors même que le monde “communautaire” est littéralement envahi de nouveaux outils et plateformes. 

Attention alors : pas de place dans ce contexte de surenchère pour l'amateurisme. En d’autres termes, on ne refile pas le dossier “community building” au stagiaire de bachelor 1. Pour s’imposer, les marques doivent s’adresser à des community builders émérites et reconnus, capables de concilier deux approches : 

Une dernière recommandation pour la route, qui nous vient une fois encore d’Alexandre Durand-Chabert : allez découvrir Rosieland. Rosie Sherry est la community builder d’Indie Hackers, le site de référence des makers et autres Indie builders. Sa newsletter (+ son site + elle-même !) est probablement l’une des sources les plus parlantes sur le pouvoir du community building. 

Récapitulons : le community building contribuera à construire l’image de marques fortes, engagées et communautaires. Ces ingrédients excelleront dans ce “monde d’après” dont la terminologie semble déjà usée ; car au final, ne s’agit-il pas surtout de remettre au goût du jour des fondamentaux boostés par l’accélération technologique ?

Marie Dollé

Photo by Kimson Doan on Unsplash