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TikTok, la douce musique d’une machine de guerre marketing

Plus une semaine ne passe sans une actualité liée à TikTok, l’application mobile de partage de vidéo et de réseautage social. Dernière annonce de poids le 17 janvier 2020 : l’ouverture d’un centre régional européen basé à Dublin (son 3ème centre régional après San Francisco et Singapour, et des bureaux à Paris, Londres, et Berlin).

De quoi convaincre les derniers récalcitrants de se pencher sur les opportunités qu’offre TikTok pour le marketing et son impact plus global sur les formats de création, tout en gardant un œil sur les polémiques qui entourent la plateforme.

Origine et évolution de TikTok

Lancée en septembre 2016 en Chine (où il porte le nom Douyin) TikTok affiche ses origines dans son logo en forme de note de musique puisque le réseau était à l’origine destiné au partage de courtes vidéos de playback ou de chorégraphies. Mais avec la croissance du nombre d’utilisateurs (1.65 milliards de téléchargements de l’application à janvier 2020) et l’ouverture à de nouveaux pays, les usages se sont eux aussi beaucoup diversifiés.

Les vidéos TikTok (de 3 à 60 secondes ou 15 secondes en musique) sont aujourd’hui au croisement du type de contenu que l’on pouvait trouver sur Vine (fermé par Twitter en 2017 peu de temps après son acquisition, et que son co-cofondateur Dom Hofmann vient de relancer le 24 janvier 2020 sous le nom Byte), Musical.ly (racheté en 2018 par Byte Dance, propriétaire de TikTok puis fusionné avec la plateforme), et qui explosent sur Youtube ou encore Snapchat.

En termes d’audiences, TikTok cartonne auprès des ados et est aujourd’hui le 3ème réseau social préféré des ados derrière Snapchat et Instagram. Une croissance qui soulève aussi de nombreuses questions sur l’exploitation des données personnelles d’une audience très jeune, la présence de contenu pornographique et la fuite/vol de données et vidéos.

Mais plus que ces craintes, les contenus que l’on peut trouver sur TikTok peuvent surtout laisser perplexes les « adultes » comme le rappelle le podcast collaboratif « Le digital pour tous » qui avait dédié un épisode à TikTok en septembre 2019. Car une des mécaniques expliquant la viralité de TikTok est sa capacité à mobiliser chaque jour sa communauté autour de défis à réaliser en vidéos, comme le catfish challenge (se déguiser pour changer totalement d’apparence en mode « relooking »), le bottlecap challenge (dévisser le bouchon d’une bouteille en plastique d’un coup de pied arrière, un challenge qui avait largement dépassé les limites de TikTok pour faire le tour du monde sur Facebook, Instagram, Youtube, porté par de nombreuses célébrités) (d’autres défis étranges listés par le media Urbania).

TikTok et les marques

Les marques se sont bien sûr invitées dans ces challenges, les 5 vidéos de marque les plus visionnées (sur Instagram ou Facebook) liées au #bottlecapchallenge étant celles de Puma (2,6 millions de vues dans les 90 jours suivant le lancement du challenge, en repostant une vidéo montrant une maman avec un teeshirt Puma !) suivi par Chevrolet, BMW, Pepsi Russia, et Monster Energy drinks.

Les marques ont depuis compris qu’elles pouvaient non seulement réexploiter sur d’autres réseaux sociaux (et donc vers des audiences plus « âgées ») un contenu original émanant de TikTok (avec accord des créateurs bien sûr) mais aussi participer à la création de contenu directement dans TikTok. Ont ainsi constitué des communautés sur TikTok des marques comme Chipotle, la NBA, Guess, Maybelline, Rexona, des médias comme The Washington Post ou encore des organismes comme le Fonds international de développement agricole des Nations Unies (FIDA). (plus d’exemples et cas dans cette étude Hubspot dédiée aux marques sur TikTok et sur l'espace dédié aux annonceurs de TikTok.)

Du côté de la publicité, en 2019 TikTok a multiplié les formats et expérimentations avec des marques comme le sponsoring de hashtag utilisé notamment en France par les NRJ MUSIC AWARDS 2019.

Les formats actuellement disponibles sont le « brand take over » (un annonceur unique chaque jour à l’ouverture de l’application), le « In-feed native video » (comparable aux publicités des stories Instagram), le « hashtag challenge » (les marques peuvent ainsi créer leurs propres défis vidéos), et les filtres (comparables aux filtres Snapchat) . Plus de détails sur le site de l’agence Keyade qui livre également un bilan assez mitigé de ses premières campagnes, en raison de l’absence d’une plateforme de gestion des campagnes publicitaires et d’un paramétrage du compte et des campagnes relativement long et complexe. L’agence rappelle néanmoins que la régie publicitaire TikTok est balbutiante et pourra représenter bientôt de belles opportunités.

TikTok influence de plus en plus les créateurs

Tiktok influence désormais la production musicale. L’histoire d’un des tubes de l’année 2019 nous montre bien ce phénomène : Lil Nas X et son “Old Town Road” ont été lancés dans une vidéo virale sur TikTok en février 2019, 4 mois plus tard Colombia records offrait un contrat au jeune artiste et un réenregistrement en collaboration avec la star country Billy Ray Cyrus (papa de Miley Cyrus). TikTok s’impose donc désormais comme un outil indispensable pour faire émerger les nouveaux talents musicaux et permettre aux artistes établis d’animer leurs communautés.

Mais TikTok influencerait aussi les chansons elles-mêmes puisque pour être utilisé sur TikTok un morceau musical doit être efficace en 15 secondes avec l’impact de mémorisation d’un « Meme » internet. En fait, d’après une analyse menée par Quartz, les chansons se raccourcissent à cause des plateformes de streaming. Ainsi les chansons du billboard US Hot 100 ont perdu 20 secondes entre 2013 et 2018, pour une durée moyenne actuelle de 3 minutes 30 secondes. Un processus que TikTok a encore accéléré.

On peut donc compter sur TikTok pour continuer de faire du bruit en 2020, notamment avec l’ouverture cet été d’un centre de création à Los Angeles, proche du viviers de créateurs et influenceurs d’Hollywood. Une stratégie qui rappelle bien sûr l’ouverture depuis 2013 des YouTube Spaces, des studios d’enregistrement destinés aux créateurs, et qui entre en concurrence frontale avec les studios de production IGTV d’Instagram à Los Angeles.

Séverine Godet