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Social Media : quels enjeux derrière leur phygitalisation


Avis de vents contraires ? Tandis que les marques sont toujours plus nombreuses à vouloir « réussir leur transformation digitale » - voire numérique pour les puristes – les plateformes sociales, elles, cherchent au contraire à s’affirmer dans le physique et le réel afin de renforcer leur ubiquité … et générer une nouvelle forme domination ? 

S’enraciner dans le réel

Depuis quelques années déjà, plusieurs indicateurs donnent à penser que les réseaux sociaux type Facebook veulent s’ancrer davantage dans le concret. Cela suppose dans un premier temps de démontrer que leurs offres en ligne et hors ligne s’enrichissent mutuellement, puis de développer les services qui le prouvent. C’est notamment le cas avec les publicités locales ou des fonctionnalités de « click and call ». 

A ce propos, le géant social a récemment dévoilé une étude qui tend à prouver les bénéfices d’une complémentarité entre une campagne sur Facebook et une opération d’affichage extérieur. L’étude indique en effet qu’avec l'utilisation généralisée des smartphones, la forte visibilité de l'affichage extérieur va de pair avec des actions sur les canaux numériques tels que les médias sociaux. Par exemple, près de 4 adultes interrogés sur 10 (38 %) aux États-Unis disent avoir visité une page Facebook ou affiché sur Facebook, après avoir vu une annonce en affichage, et 25 % ont affiché sur Instagram.

Voilà qui justifie donc les nombreux services visant à créer une passerelle entre « les deux mondes ».  Thomas Rudelle, directeur du social media pour Carrefour, dévoilait 

récemment sur son compte Linkedin une photo prise dans un supermarché Supeco où un affichage sur le mur à caddie encourageait les consommateurs à contacter le directeur du magasin …. sur son whatsapp !

L’ancrage phygital pour favoriser les rencontres en réel ?

Une voie également adoptée par Snap Inc qui mise fort sur la réalité augmentée. La firme d’Evan Spiegel a ainsi annoncé en août dernier sa volonté d’investir 1 milliard de dollars dans l’élaboration de nouvelles fonctionnalités en réalité augmentée. Une décision déjà concrétisée en partie par le lancement de ses lunettes de réalité augmentée, les Spectacles 3 et de nombreux autres dispositifs auprès des marques. 

Bien évidemment, les plateformes concurrentes ne sont pas en reste… Pinterest, Facebook, ou encore Youtube, tous les acteurs travaillent sur les dispositifs en réalité augmentée/virtuelle et/ou mixte. Là encore, il s’agit de décupler la sensation de réel pour dépasser le cadre strict du digital. Mais au-delà de l’aspect serviciel et de la complémentarité en ligne / hors ligne, il y a aussi la volonté de reconnecter les gens entre eux et d’en revenir à l’essence même du réseau social. 

Souvent laissé pour compte dans cette conquête de la domination sociale, Google ne s’est pas déclaré vaincu, malgré l’échec et la fermeture en avril dernier de son réseau social Google + … et compte bien revenir sur le devant de la scène avec Shoelace, développé au sein de son incubateur. L’application mobile vise à rassembler les usagers en fonction de leurs affinités : il s’agira de les partager et d’en profiter ensemble en participant à des événements organisés autour de soi, dans le réel. L’objectif principal est donc de créer du lien « IRL » et de la « reconnexion » avec les êtres qui nous entourent. Et le slogan va dans ce sens : « Recharge ta vie à fond ».

S’ inscrire dans la tendance du « low-tech » … 

Recréer du lien, redorer son image, surfer sur la tendance de fond du « low tech » : la firme de Zuckerberg a lancé il y a un an un magazine papier baptisé Grow ; elle multiplie par ailleurs les pop-up stores éphémères dont le dernier en date a été inauguré en France en juillet 2019 pour mettre en relief un autre axe fort du leader des réseaux sociaux, celui du social commerce. Et ce n’est pas tout ! 

Dans le cadre de sa campagne pour la transparence – et pour redorer son image, Facebook a en effet annoncé en août l’ouverture de plusieurs cafés éphémères à Londres afin d’aider les usagers à manipuler correctement les paramètres de confidentialité de leur compte. Cela va de pair avec une approche pédagogique, notamment le lancement des « city guides » dont le premier, édité à 2000 exemplaires à Bordeaux, permettait de mettre à l’honneur les communautés de Facebook. 

Comme l’expliquait au moment du lancement Stephan Delaux, le président de l’Office de Tourisme et des Congrès de Bordeaux Métropole : « Quoi de mieux pour favoriser l’échange et l’harmonie entre visiteurs et habitants que de demander aux Bordelais de partager les émotions que leur procurent leur patrimoine, leur culture et leur art de vivre ? » Bref, une empreinte hors ligne, pour repositionner les marques technologiques comme des présences conviviales et accessibles dans les villes et les quartiers

.… pour mieux dominer ? 

Mais face à toutes ces initiatives aussi conviviales que louables, il convient de demeurer prudent, voire méfiant. N’oublions pas que Facebook est, d’une certaine façon, le premier pays au monde. En effet, l’ensemble de ses membres est plus important que le nombre d’habitants en Chine, ce qui est significatif. Fonctionnement propre, monnaie attitrée (c’est en cours avec Calibra), … nation virtuelle ? Car si Facebook est déjà une destination, voilà que les ambitions de Zuckerberg sont bien palpables.

Il s’agit de faire du réseau social un lieu, un univers bien réel pour construire la ville de demain. Comme le notait déjà Kantar Media dans son rapport sur les tendances social media il y a quelques années, on se dirige progressivement vers des réseaux sociaux « ambiants ». D’ici peu, il n’y aura plus besoin d’aller se connecter sur les plateformes sociales puisqu’elles seront infiltrées tout autour de nous, bien qu’invisibles … comme l’électricité. 

Quel enseignement pour les marques ? Multi-canal, cross-canal… les terminologies ne manquent pas pour désigner la nécessité d’investir tous les outils. Mais l’avenir est aux dispositifs omni-canaux… qui privilégient le réel. L’expression « transformation digitale » que nous évoquions en introduction est dépassée ; désormais, il s’agit de réinvestir le monde physique, certes avec des nouveaux outils, mais avant que les géants sociaux l’aient fait à notre place. 

MD