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L’engagement visuel décrypté par l’intelligence artificielle.

Dans un univers média saturé de contenus et de plus en plus centré sur le mobile et les médias sociaux, l'image est devenue un levier essentiel de l'engagement des publics. Mais les facteurs déterminants de l’engagement produit par un contenu visuel restent une énigme pour beaucoup. TheContillery a développé une plateforme d’intelligence artificielle permettant de prédire l’engagement d’une image et d’identifier quels sont les attributs visuels générateurs d’engagement. Riches de ces enseignements Arnaud Caplier, son fondateur, et Anne Vulliez, spécialiste de l’identité et des contenus de marque, décryptent pour nous quelles sont les bonnes pratiques pour engager visuellement ses audiences.

La stratégie de contenus, un casse tête pour les marketers

Dès 2014, Mark Schaeffer nous alertait sur l’arrivée du "content shock": en 2020 la production de contenus aura été multipliée par 6 par rapport à 2014. Sur la même période, le temps alloué à la consommation de contenus aura peu ou prou stagné.

Nous y sommes aujourd’hui : faire émerger ses contenus - au sein de sessions mobiles d’1 minute sur un écran de 15 cm saturé de contenus balayés par un furtif mouvement du pouce - est un casse-tête pour les marques. A l’ère de l’intégration au sein du « fil social » ou du « fil natif », le message publicitaire n’a pas d’autre alternative que d’être engageant, sauf à n’être tout simplement pas vu.

L’engagement par l’image et les plateformes sociales

L’image constitue le format le plus enclin à capter notre attention car elle sollicite nos émotions de façon immédiate.

Les plateformes sociales, qui mettent l’engagement par le contenu au cœur de leur modèle de développement, l’ont parfaitement compris. Ces plateformes constituent les supports grâce auxquels nous produisons une représentation valorisante de nous-mêmes. Instagram y tient une place particulière : il représente le réseau de l’expérience esthétique, l’espace où nous embellissons notre vie et le monde, qu’il s’agisse d’un banal moment de notre quotidien (un rayon de soleil matinal illuminant notre café latte) ou d’une expérience unique partagée depuis une contrée lointaine. Esthétiser son quotidien ou le monde est une méthode gagnante pour générer des likes, des partages ou des commentaires élogieux de ses abonnés et être « regrammé » par les communautés du réseau. De multiples occasions permettent de proposer une vision esthétisée : un moment, un lieu, une expérience, une situation, une personne croisée ou un objet. Comme le dit André Gunthert [1] : « En étendant à chaque instant de la vie la capacité d’enregistrement, le mobile transforme chacun de nous en touriste du quotidien ».

Une étude récente réalisée par Expedia montre que le premier critère de choix d’une destination pour les millenials est le fait que celle-ci soit instagrammable. Offrir un « Instagram corner » devient un must : certains musées s’y sont mis, les restaurants leur emboitent le pas, et le ClubMed annonce que chaque resort aura bientôt sa « place to share » à partager sur Instagram.

Les codes de l’engagement visuel peuvent-il être appris ?

Selon le cabinet KPCB près de 3,2 milliards de photos sont partagées chaque jour sur internet. Compte tenu de la variété des contenus relayés, comprendre l’ensemble des codes de l’engagement visuel par une approche purement empirique est illusoire. Elle l’est plus encore si l’on considère les résultats d’une étude du MIT qui nous apprend que le cerveau humain analyse une image en 13 millisecondes : un tel résultat confirme que la compréhension des ressorts de l’engagement par l’image devient une science.

Analyser puis prédire quels sont les différents attributs de l’image (sujet, composition, prise de vue, couleurs, textures, exposition, style, etc.) qui sont générateurs d’engagement est le cœur du savoir-faire de TheContillery. Cela est rendu possible grâce aux capacités nouvelles offertes par l’intelligence artificielle.

Ces technologies, qui considèrent une image comme un jeu de données composé de 1 millions de pixels, permettent d’établir des corrélations entre le contenu d’une image (appris par les algorithmes d’intelligence artificielle) et l’engagement qu’elle génère, qu’il s’agisse de likes, de partages, de commentaires positifs, de clics, de déclenchements de vidéos, de visites sur une page de destination ou d’actes d’achats.

En analysant le top 1% des images les plus engageantes, nous nous intéressons à des visuels qui génèrent des niveaux d’engagements 50 fois supérieurs à la moyenne. L’analyse de ces images « sur-engageantes » nous permet d’identifier, pour une thématique donnée (voyage, beauté, mode, automobile, etc.), jusqu’à plusieurs centaines de codes visuels propres à susciter l’engagement des audiences. Bien qu’il ne soit pas possible de tous les évoquer ici, cette démarche nous a permis de mettre en évidence trois grands types d’approches génériques propres à engager à partir d’une image : esthétiser le monde, émouvoir et inspirer, et incarner l’univers de la marque.

Esthétiser le monde

La première manière d’engager visuellement consiste à capter l’esthétique du monde dans ce qu’il a d’insolite ou d’exotique, ainsi que l’illustrent les visuels ci-dessous.

Mais comme nous sommes rarement en situation de pouvoir partager une expérience esthétique aussi exaltante, tout l’art consiste à transfigurer et esthétiser la réalité du monde qui nous entoure.

Dans sa démarche la plus extrême, l’esthétisation du monde peut prendre la forme de « l’artification », une démarche consistant à proposer une représentation artistique du monde. C’est par exemple le cas des créateurs Kyrenian, Manucoveney ou Adisa qui vont jusqu’à donner à leurs photos l’apparence d’œuvres d’art.

Sans aller jusqu’à « l’artification », l’esthétisation du monde peut s’appuyer sur des techniques simples et néanmoins très efficaces pour engager visuellement ses audiences. C’est par exemple le cas de la recherche d’amplification de l’effet miroir de l’eau, de l’utilisation des poses longues, de l’exploitation des lignes de fuite, des compositions ou de la création de chocs visuels issus de l’association de couleurs ou de matériaux à priori antagonistes. Toutes ces techniques sont propres à nous surprendre et à gagner notre attention en nous proposant une vision transfigurée et captivante de la réalité, une expérience à partager.

Le caractère engageant de ces différents effets est amplifié par l’utilisation des incontournables filtres photographiques. Ils intensifient, harmonisent ou atténuent les couleurs et les contrastes, rendent le témoignage photographique plus vif et plus percutant. Chaque univers dispose de filtres propres à améliorer l’esthétique de la photo et à capter l’attention visuelle. Les filtres des photos de paysages vont intensifier l’exposition et renforcer les couleurs ternes, les filtres des photos gastronomiques vont chercher à mettre en exergue les couleurs des ingrédients, les photos de mode rechercheront quant à elles les filtres renforçant les effets chaleureux, voire rétros ou romantiques.

Les créateurs parmi les plus talentueux et les plus suivis, tels que @muradosmann, @izkiz ou @hobopeeba, vont jusqu’à créer un style et une signature visuelle immédiatement reconnaissables. Communément appelée le feed sur Instagram, cette signature stylistique est un élément très important pour assurer la cohérence visuelle et donc l’esthétique de sa page Instagram. Allant au bout de la recherche de créativité, ces instagramers proposent souvent une représentation très personnelle du monde, n’hésitant pas à scénariser les moments et les lieux pour signer leur réinterprétation de la réalité.

Divertir, émouvoir et inspirer

Les visuels faisant appel à nos émotions sont naturellement très engageants. L’humour (@celestebarber ), l’empathie (@sasintipchai), la nostalgie (@waiste_vintage ) ou l’appartenance à une communauté (@humansofny ) constituent autant de leviers pouvant être actionnés dans le cadre d’une stratégie d’engagement visuel.

Mais le plus puissant des ressorts visuels axés sur l’émotion reste celui de l’inspiration, du partage d’expériences uniques, et de l’invitation à l’évasion et au voyage. Les instagramers les plus talentueux sur le partage d’expériences liées au voyage, tels que @doyoutravel , @gypsea_lust, @hilvees ou @eljackson , sont parmi les plus suivis sur le réseau. Pour cette catégorie de créateurs, la primeur n’est pas aux effets de style mais bien à l’incarnation de l’expérience vécue, à l’image constituant une preuve de la réalité de cet endroit ou de ce moment que l’on peut désormais partager.

Incarner l’univers de la marque

Incarner l’univers de la marque

L’image s’apparente donc à une forme de témoignage attestant que l’endroit existe bel et bien et que la situation a réellement été vécue par l’auteur. Il s’agit de donner à voir un univers, une approche qui séduit de plus en plus les marques car elle semble plus authentique qu’un traditionnel discours publicitaire. Celles-ci encouragent alors et valorisent la production de contenus par leurs communautés afin d’améliorer l’appropriation de leurs produits, tout en favorisant le sentiment d’appartenance des fans à leurs communautés. Comme l’explique très bien Véronique Anderlini-Pillet [1], l’injonction des marques à la créativité et au témoignage de leurs fans s’opère dans un cadre normatif défini par la marque. Cette production de contenus par les fans, suivant des codes définis en amont par la marque, lui permet de s’incarner chaque jour dans la « vraie vie » de ses fans tout en maintenant le contrôle sur son territoire visuel. La marque de montres lifestyle Daniel Wellington est devenue un acteur référent sur son marché en quelques années en encourageant ses fans à mettre en scène ses produits, autour de l’univers du voyage, grâce à des codes artistiques basés sur la sacralisation de l’objet et sur des compositions inspirées des natures mortes. La marque a ainsi construit une communauté de 4,3 millions de fans qui produisent chaque jour des milliers de photos portant le hashtag de la marque, prêtes à être sélectionnées et regrammées par celle-ci.

Conclusion 

La mesure quantitative et la compréhension des ressorts de l’engagement visuel sont désormais rendues possibles par l’exploitation de l’intelligence artificielle. Alors que le message était le grand oublié de l’adage du data-driven marketing - « le bon message, à la bonne cible, au bon moment, par le bon canal » - il est enfin possible de définir scientifiquement quel est le contenu le plus efficace. L’adoption de cette approche permet d’accroitre considérablement le ROI de ses investissements en communication, a minima de 20 à 30% tant pour le ROI media que pour le taux de conversion.

Et si comme nous l’avons vu, des ressorts visuels très variés s’offrent aux marques pour engager leurs audiences, celles-ci doivent être adaptées en fonction du parcours client. La captation de l’attention dans un fil natif requiert l’adoption de codes visuels très créatifs. L’acte d’achat, quant à lui, implique davantage d’authenticité, au sens de la preuve incarnée par le témoignage des fans. Enfin, la fidélisation des communautés, qui prend aujourd’hui la forme d’une co-création de contenus, suppose la mise en avant des codes visuels nourris par la singularité de la marque. L’enjeu étant bien entendu de veiller à une cohérence visuelle sur l’ensemble des points de contacts entre la marque et ses audiences.

Mais pour vraiment conclure, nous souhaitons laisser le mot de la fin à Oscar Wilde : "Hier soir Mrs. Arundel insista pour que j'aille à la fenêtre regarder un ciel de gloire, suivant son expression (...) Et qu'ai-je donc vu ? Tout simplement un Turner de second ordre." Plus d’un siècle plus tard, l’intelligence artificielle nous montre qu’Oscar Wilde avait vu juste.


Mise en garde importante : respect des droits d’auteur

Les images présentées dans cet article ne peuvent être utilisées sans l’obtention de la licence d’exploitation de celles-ci auprès de leur auteur.

[1]  André Gunthert, maître de conférence à l’EHESS : « L’image partagée », 2015

[2]  Véronique Anderlini-Pillet, Docteur en SIC, Université Côte d’Azur : « Luxe et Instagram :  Phénomène communicationnel & expérience esthétique. », 2017