Viuz

Into the French Tech : la face humaine des startuppers

Loin des clichés faciles de la startuppie, l'entreprenariat est une aventure exigeante, exaltante mais aussi humainement éprouvante.

Anne Sophie Frenove, Directrice Business Development d'AirBnB et Emmanuelle Flahault-Franc Directrice de la Communication d'Iris Capital qui animent également un club exclusif d'entrepreneurs digitaux l'ont bien compris.

Into The French Tech c'est l'histoire vraie et sans fard de 50 entrepreneurs et entrepreneuses français de la French Tech. Elle se lit comme un guide initiatique et authentique d'une aventure trop souvent caricaturée. Il fourmille par ailleurs de conseils malins et de pépites d'espoir qui permettront d'éviter beaucoup d'écueils aux jeunes stratuppers.

"Ce livre nous l'avons écrit car nous voulions rendre hommage à ces 50 entrepreneur.es et à tous les autres qui chaque jour nous inspirent et nous donnent envie de faire rayonner la French Tech, et la Tech en général. Ces héros de l'économie actuelle partagent dans cet ouvrage leurs succès et leurs doutes, leurs échecs et leur réussite, et plus largement, ce à quoi chaque entrepreneur.e est confronté.e: parfois la solitude, souvent la fierté d'avoir créé quelque chose qui les dépasse et au final la satisfaction d'avoir monté une équipe de professionnels engagés dans la French Tech et son rayonnement international." nous ont confié Anne Sophie Frenove et Emmanuelle Flahault-Franc.

Nous publions içi en exclusivité pour les lecteurs de Viuz les bonnes feuilles d'Into the French Tech :

"Pour certains produits, tant que vous n’avez pas assez de clients, vous ne pourrez pas gagner beaucoup d’argent : c’est le cas des plateformes où l’offre et la demande doivent rapidement se développer tout en restant équilibrées pour éviter une fuite des utilisateurs.

Si en tant qu’utilisateur vous cherchez à louer une moto sur un site de location entre particuliers et qu’il n’y a pas assez de modèles disponibles, vous irez ailleurs. Et si vous cherchez à louer votre moto et ne recevez que très peu de demandes sur le site, vous mettrez votre bien en location ailleurs. Ainsi, la plateforme peut rapidement voir sa communauté se déséquilibrer et l’entrepreneur se retrouvera en difficulté.

Chaque entrepreneur, selon la start-up qu’il lance et selon ses compétences personnelles, développe sa propre méthode pour conquérir un maximum d’utilisateurs avec un budget optimisé. Nous avons décidé d’aborder quelques-unes de celles qui nous ont semblé intéressantes et relativement aisées à reproduire.

L’une des méthodes d’acquisition de nouveaux clients que vous retrouverez dans les livres de marketing est celle du growth hacking* qui consiste à chercher des moyens de faire grandir votre start-up rapidement et à moindre coût.

*En français : « piratage de croissance ».

En effet, avant de lever ou emprunter des fonds suffisants, beaucoup d’entrepreneurs ont dû faire grandir leur projet sans budget à dépenser en marketing. Leur temps, celui de leurs collaborateurs, un peu de sens logique et beaucoup de culot sont souvent ce qu’ils ont à leur disposition pour créer de la croissance au début. Le growth hacking est un terme un peu compliqué pour expliquer ce simple moment de l’entreprise : celui où il faut générer le bouche-à-oreille en étant malin plutôt que riche.

Puisque le nerf de la guerre est la base d’utilisateurs, certains entrepreneurs ont fait preuve d’une très belle créativité pour faire adopter leur produit par le plus grand nombre, ou du moins par ceux qui comptaient pour eux, en dépensant le moins possible au début.

Meryl Job, la fondatrice du site de vente d’articles de mode entre particuliers Videdressing, a ainsi passé beaucoup de temps à développer la notoriété de sa start-up avec des moyens financiers très limités :

Pour attirer de nouveaux membres, on s’est appuyés sur cinq grands piliers : le parrainage, les opérations virales, les partenariats blogs et médias, les relations presse et le référencement naturel (SEO). On a ponctuellement investi dans des campagnes sur les réseaux sociaux et AdWords* mais en mesurant toujours précisément les coûts. On a commencé par des jeux concours et des partenariats avec la presse féminine et des blogueuses mode, puis on a lancé des opérations spéciales avec des start-ups en vue comme Happn ou Glossybox, tout en présentant la marque et nos produits phares aux journalistes mode et lifestyle. On a atteint 4 millions de visites par mois dont 90 % sans investissement marketing payant, grâce au bouche-à-oreille et au référencement naturel.

Ainsi, Hapsatou Sy, fondatrice de la marque de cosmétiques du même nom, a fait la promotion de son premier salon de beauté en rassemblant une vingtaine d’amies et de connaissances, toutes habillées d’un jean et d’un tee-shirt blanc où le nom du salon était inscrit au marqueur. Elles ont remonté les Champs-Élysées ensemble et se sont présentées devant la boîte de nuit à la mode à l’époque en demandant à parler à la directrice : Cathy Guetta.

Celle-ci a trouvé l’idée excellente et a laissé l’équipe poser des flyers dans toute la boîte. Le lendemain, Le Parisien faisait sa une sur ces vingt femmes qui lançaient un nouveau salon. Le bouche-à-oreille et la couverture médiatique ont très bien fonctionné et le salon s’est rempli instantanément.

*Google AdWords est le programme de publicité en ligne de Google.

Quand Rachel Delacour, cofondatrice de la solution de visualisation de données BIME Analytics, s’est lancée, elle a cherché à tester la réaction de futurs clients face à son produit au design innovant :

J’ai simplement pris un abonnement Premium pour mon compte LinkedIn et j’ai contacté des centaines de professionnels qui pourraient être intéressés, en tentant de couvrir un maximum de fonctions, de tailles d’entreprise et de zones géographiques. C’est comme ça que je me suis rendu compte que la nouveauté de notre produit plaisait beaucoup au marché américain, tandis que les Français étaient un peu frileux face à une toute jeune start-up naissante.

Rachel Delacour a ainsi convaincu ses premiers clients par ce biais, sans faire de publicité, a adapté son produit en tenant compte des retours de chaque type de client et reconnaît aujourd’hui qu’elle y a passé des centaines d’heures pour de très bons résultats, sans dépenser de budget en marketing.

Bertin Nahum a fondé Medtech et cofondé Quantum Surgical, deux sociétés de technologie de pointe ayant créé des robots capables d’assurer une partie des opérations chirurgicales, en sachant qu’il aurait une double clientèle : les chirurgiens qui ont besoin d’être convaincus de l’usage du robot et les hôpitaux qui achètent ces robots. Plutôt que de s’attaquer directement aux acheteurs, il est d’abord parti à la conquête des plus grands chirurgiens, pourtant réputés difficiles à convaincre, lors de congrès médicaux.

Une fois les plus grandes pointures de son secteur convaincues, il les a accompagnées auprès des hôpitaux pour les convaincre de faire ces acquisitions coûteuses. Il a eu une approche humaine et très qualitative, totalement adaptée à son marché, que seule permet une innovation sensationnelle.

D’autres entrepreneurs ont utilisé les relations presse, les réseaux sociaux et l’opportunisme pour se faire connaître. Quand votre activité se rattache à l’actualité, c’est le moment d’utiliser vos contacts pour faire parler de vous, quel que soit l’angle.

A l’automne 2007, de nombreux services publics se mettent en grève, bloquant une grande partie des Français dans leurs déplacements. Au même moment, Frédéric Mazzella et Marion Carrette s’emparent de l’intérêt médiatique pour le sujet.

Frédéric Mazzella avait développé Covoiturage, renommé BlaBlaCar quelques années après. Le service de covoiturage est opérationnel depuis deux ans lorsque les premières grèves de la SNCF sont annoncées :

J’ai envoyé un communiqué de presse diffusé aux grands médias pour montrer que le covoiturage permettait aux Français de continuer à se déplacer d’une ville à l’autre, même sans train, notamment à l’aide de notre application mobile. L’information a été très bien reprise par les médias, et pendant toute la durée de la grève, j’ai enchaîné les plateaux télé et les interviews pendant que l’équipe technique travaillait jour et nuit pour maintenir le service et le renforcer. Chaque jour de grève a vu l’usage de ce mode de transport croître et le nombre d’inscrits a explosé.

Au même moment, Marion Carrette venait de fonder Zilok, une plateforme permettant de louer ses biens entre particuliers. La grève des transports touchant les trains en région mais aussi les transports franciliens, Marion Carrette contacte également les médias pour communiquer sur le déplacement de courte distance en ces termes : « Profitez des grèves pour gagner de l’argent : louez votre vélo ! » En insistant sur le bénéfice économique pour l’utilisateur qui se sent pénalisé par la grève, elle crée un sujet pour les médias, celui du bénéfice possible d’une situation bloquante.

A l’époque, la plateforme Zilok compte moins d’une centaine d’objets à louer, principalement ceux de l’équipe et de leurs amis : en quelques jours l’offre et la demande ont été démultipliées.

Plusieurs années après, la deuxième start-up fondée par Marion Carrette, OuiCar, permettant de louer des voitures entre particuliers, verra la SNCF, peu rancunière, prendre une participation à son capital.

Lorsque Guillaume Gibault lance la marque de sous-vêtements vendus en ligne – Le Slip Français –, il sollicite dès le départ les équipes et ses proches pour créer des contenus décalés autour du slip, qu’il diffuse sur les réseaux sociaux. La marque commence à peine à se faire connaître quand l’équipe détourne les affiches et vidéos de la campagne présidentielle de 2012. Quand le Parti socialiste publie une vidéo autour du slogan « Le changement, c’est maintenant », Guillaume Gibault tourne une vidéo reprenant tous les codes visuels et audio de la vidéo officielle, et montre des personnes échangeant leur simple slip kangourou contre un Slip Français, autour du slogan « Le changement de slip, c’est maintenant ».

Ses équipes ont ensuite détourné les affiches des candidats en ajoutant le mot « slip » dans tous leurs slogans de campagne et ont diffusé le tout sur les réseaux sociaux.

Les médias s’en sont emparés et la marque est entrée dans les esprits comme étant proche des consommateurs, vendant un produit de fabrication française.

La suite dans : Into The French Tech (First Editions) disponible en librairie et en ligne au prix de 14,95 Euros.