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J’ai mis mon Boss dans l’avion. Check

Credits Shutterstock Dragon Image

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J’ai tout compris quand ma collègue au UK- celle qui a trois ans de moins que moi et qui fait trois fois mon CA- m’a dit qu’elle était en phase de “I put my boss in the plane euphoria”... J’en ai parlé à  un dîner avec quelques copines et je me suis rendu compte qu’on vivait toutes à peu près la même chose.

Je suis Country Manager d’une filiale américaine d’E-commerce digitale, c’est à dire chef des vendeurs, pour ma mère je suis directrice Générale... Chaque année à l’approche des soldes -comme c’est bizarre- ou, dès le printemps...Les CEO débarquent à Paris.

Avec un peu de chance ça démarre trois semaines avant -mais ça c’était avant- avec un call organisé par l’office manager du CEO….”John (ou Cynthia, ou Richard) will be in Paris on the 10 th of May do you think you could…...”

“Do you think you could”...En fait c’est un ordre. Bien sur I could... Organiser un diner avec l’équipe, 5 rendez vous avec les plus gros clients, préparer une business review de 20 slides et gérer bien sûr les demandes particulières…

Alors les demandes particulières, c’est dans l’ordre “Do you think you can schedule an interview with Les Echôôôs”, a meeting with Môôôôrice Levy or Jean-Paul Agon de l’Oooooréal” or Emmanuel Macron (“He’s so cute”, je sais Cynthia).

Ne riez pas, même si votre CEO n’est pas Mark Zuckerberg et votre Chief Sales Officer Sheryl Sandberg on vous demandera de le faire. Pour info, mon Chief Sales Officer est un nobod ventripotent du Kansas pour qui l’Europe c’est la bottom line Allemande versus la bottom line française.

La partie de plaisir ne fait que commencer. Pendant une semaine, en dehors de votre course contre la montre pour faire un Q2  honorable après un Q1- c’est une tradition française- désastreux, vous allez avoir 5-6 conference calls avec 5-6 autres américains, inquiets pour leur poste (Product Officer, Marketing Officer, Chief Communication Officer, CIO etc...qui vont essayer de deviner à l’avance ce que vous allez dire à Richard/Cynthia/John…

”Ohhhh sooorry to bother you, I did not know it was a bank holiday in France”...

Chez mes collègues Européens, comme dans toutes les boites Anglo-Saxonnes on appelle cela “Breathing on my neck”...

Alors comment ça se passe quand Cynthia/Richard/John débarquent ? Le premier soir c’est le dîner équipe, le CEO sort son sourire ultrabrite et vous priez pour que personne ne pose la “mauvaise-question-qui-fache-le-CEO américain”, les dents serrées, vous êtes prêts à sortir votre jambe télescopique pour distribuer des coups de pieds aigus dans les tibias. Vous êtes le seul à savoir qu’une fois dans l’ascenseur, le CEO vous demandera “who was that guy who asked the XXX question what does he do ?”.....Le mec est déjà sur la sellette...En même temps vous gérez d’un regard de glaive les autres clients du resto excédés qui pensent que décidément ces américains parlent vraiment trop fort.

Le lendemain matin vous rejoignez le CEO à 7h00 à son hôtel, une fois sur deux il a perdu le sourire ultrabrite, il est jet lag, il a mal digéré les fromages et le vin français….Il fait la gueule. Bref, il est en excellent état pour démarrer votre business review. Et...pour peu qu’il soit accompagné du CFO ou du Chief Sales Officer vous allez passer une sale heure alors que la journée ne fait que commencer..

Après avoir trituré vos cellules Excels et vos charts Powerpoints et survécu au différentiel de chiffres Franco-Allemands vous priez pour qu’aucun client n’annule.  

Pendant deux jours, les meetings clients s’enchaînent. Votre CEO, a repris son sourire ultrabrite. Vous passez même un bon moment à voir ses sourcils arqués en plein effort devant l’anglais très très très approximatif du dernier client de la journée .

Client Meetings, check.

Le lendemain matin, Le journaliste des Echos n’a pas baillé. Check.

Entre deux rendez vous près des Champs, vous accompagnez votre CEO chez Ladurée ou Pierre Hermé “Do you think they can accomodate seven different packages for the leadership team...They are so gorgeous”...I can, bien sûr, John/Cynthia/Richard….Et là vous vous demandez les bras chargés de paquets comment ils font chez  les Allemands et avec quoi les américains reviennent.

Macarons. Check.

Vers 15h30, 9h30 heure US, votre CEO commence généralement directement dans le taxi, ses phone calls aux US en hurlant. C’est là que vous levez un voile charmant sur le petit coin de Paradis des boards meetings. Et vous comprenez soudain le sens de “Don’t fuck with John/Cynthia/Richard”.

L’après-midi continue...Vous rencontrez deux partenaires, deux autres clients, une startup à éventuellement racheter dans un incubateur. Check, check, Check.

On est Vendredi soir. Il est 21h47, je vais retrouver mes enfants. Contrairement à mai dernier je n’ai pas à organiser le week-end de Cynthia/John/Richard à Paris.
Je viens de mettre mon CEO dans l’avion. Check.