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Pascal Delorme (Accenture) : Pour vous transformer, il ne suffit pas de vous digitaliser

Pascal Delorme est Directeur Exécutif de l’entité Accenture Digital en France et au Benelux, qui intègre l’ensemble de l’offre de services numériques d’Accenture.


Pascal Delorme a travaillé chez Accenture entre 1987 et 2007 avant de rejoindre la branche TGV de la SNCF où il a passé quatre ans en tant que Directeur Commercial, Marketing & Informatique. Il était membre du Directoire et avait en charge la distribution (dont la filiale voyages-sncf.com), le marketing client et produit et l’informatique. Pascal Delorme possède une solide expertise dans le domaine de la transformation numérique, de la relation clients multicanale (à l'origine entre autres de Voyages-sncf.com, d’IdTGV et de Ouïgo) et du conseil en stratégie. Il est par ailleurs l’auteur de plusieurs articles sur les grands enjeux du numérique et l’expérience client. Pascal Delorme est diplômé et actuel Président de l’Ecole Centrale de Lille.

 

Digitalisation : où en est-on ?

 

Historiquement, plusieurs vagues internet se sont succédées : il y a d’abord eu l'ère de la transaction (les sites e-commerce), puis est arrivée l'ère de la relation (les blogs et les réseaux sociaux).

 

Nous sommes aujourd’hui à l'âge du smartphone et des objets connectés. L’accès au contenu ne se limite plus au seul PC, nous avons accès à des contenus qui sont dans l'atmosphère, et ce grâce à deux technologies : le cloud et le smartphone.  C'est le comble de la continuité, la question du lieu où nous nous trouvons ne se pose plus. Et ce n'est que le début. Les conséquences sont majeures pour les entreprises.

 

D'autre part, le combat  entre le physique et le digital a été gagné par ce dernier. Le digital pénètre tout.

Certes le physique n'est pas mort, et loin s'en faut. Notamment il est sans équivalent en ce qui concerne l'enchantement du consommateur. Avant que le digital soit à même de produire les mêmes émotions, il faudra du temps. Il y a de l'émotion dans le virtuel, mais pas au niveau de ce qui se passe dans un magasin.

 

Accenture était partenaire technologique de l'exposition universelle à Milan. Nous avons notamment été présents sur des démonstrations liées à l'hypermarché du futur. Beaucoup ont tourné autour de la Kinect.  Un des enseignements est qu'en matière de technologie, l'interaction avec un fruit ou un légume est liée au geste plus qu'au toucher. Quand on passe la main devant un avocat par exemple, on peut obtenir toute une série d'informations (prix, valeur nutritive...). Il reste que les technologies pour s'imposer devront répondre à la quête d'une relation plus humaine, à la recherche d'authenticité. Dans le cas de la distribution alimentaire, seul le toucher rend vraiment possible cette authenticité. Les industriels comme les acteurs de la distribution ne peuvent plus ignorer la dimension digitale dans leurs stratégies et dans leurs organisations.

 

Ubérisation des entreprises : qu'est-ce que cela veut dire ? 

 

Pour les entreprises,  Airbnb a tout changé.

Les créateurs de Airbnb se sont intéressés à un marché très mature, à priori peu susceptibles de changer. En quelques années, ils sont parvenus à créer une société dont la valorisation dépasse parfois celles de leurs concurrents réunis.

 

Prenons le cas du secteur hôtelier. Un leader global se devait jusqu’alors de proposer 1 ou 2 hôtels  au moins dans chaque ville importante de la planète. Une telle couverture ne pouvait être atteinte que dans la durée : il fallait 30 ans pour y arriver. Airbnb l'a fait en quelques années.

 

Avant Airbnb, il fallait des innovations incroyables pour disrupter un marché. Aujourd'hui, plus personne, plus aucun secteur n'est à l'abri.

 

Le digital touche tous les secteurs économiques, à tous les niveaux.

Et au sein des entreprises, toutes les directions sont concernées, notamment les directions de la production et les DRH, alors que le digital était naguère avant tout l'affaire du CMO. Chez Accenture, nous distinguons deux grands pôles : le digital customer (la topline) et le digital entreprise (la bottom line), ce dernier concerne notamment les process de fabrication, l'interne, le management, la supply chain. Tous les dirigeants de tous secteurs sont concernés et doivent s'impliquer.

 

Nous sommes entrés dans une ère qui va durer. Le virage a été définitivement pris depuis l’arrivée d’Airbnb. Avant, internet était cool, depuis le digital est devenu sérieux et profond.

 

Transformation digitale : quelles sont les bonnes pratiques ? 

 

Il n'y a pas de solution universelle qui marche pour tout le monde, il n'y a pas de one size fits all.  Chaque cas est particulier.

 

Les questions du comment et du quand sont essentielles.

Les grandes entreprises ne se lancent pas dans de nouveaux segments ou de nouveaux modèles par crainte des effets dilutifs et par crainte de la cannibalisation, souvent à juste titre.

Avant de lancer un nouveau segment ou une nouvelle offre, il faut trouver le rationnel pour le faire. Airbnb a cracké le modèle de la place de marché de réservations, soit, mais d'autres ne crackent pas forcément les modèles auxquels ils croient.

Il est souvent préférable d’avancer par étapes. Prenez le cas d’une enseigne de la distribution qui se digitalise : elle ouvre d’abord une plateforme e-commerce, puis met en place la logistique dédiée, et peut se lancer dans d'autres pays.

 

La force et la faiblesse des acteurs traditionnels c’est leur patrimoine, la fameuse legacy.

Mais quoi qu’il en soit il faut se frotter à la digitalisation. Et pour s’y attaquer vraiment, ce sont les DG qui doivent aujourd’hui s’impliquer. Ils doivent aller là où c’est pertinent pour leur entreprise.

Après c’est avant tout une question d'imagination.

Une comparaison cross secteur s’avère souvent très fertile. Il convient de raisonner par analogie avec d'autres industries. Il s’agit de comprendre les consommateurs, de faire les parallèles, il faut arriver à une mise en miroir.

Il y a des méthodologies d'innovation, utiles pas seulement pour inventer des produits mais pour améliorer les façons de faire. SEB est un bon exemple

Une grande entreprise peut-elle et doit-elle nécessairement être first mover ?

 

Il ne faut pas nécessairement toujours être le premier.

La stratégie de suiveur a souvent payé. Cela dit, il y a un phénomène de scalabilité, en particulier sur le marché nord-américain. Cela va très vite, le théâtre des opérations devient très vite mondial.

Il faut certainement être au minimum un fast follower.

 

Le poste de CDO est-il déjà passé de mode ?

 

Encore une fois il n’y a pas de règle universelle qui s’appliquerait à tous. Tout dépend du modèle opérationnel de l’entreprise. Prenons trois cas : L’Oréal a un modèle décentralisé, P&G est très centralisé, Unilever est entre les deux. À cela s’ajoute l’élément de culture d’entreprise qui est très important.

 

Le type de produit joue : les problématiques surtout eu égard aux usages digitaux ne sont pas les mêmes pour de la lessive ou un produit de beauté, le potentiel émotionnel est bien différent.

 

Ce qu’il faut avoir en tête c’est que le changement doit être mené de manière transverse, il doit concerner le marketing, l'IT, les services. Et faire travailler ensemble ces fonctions n’est pas simple.

 

Une entreprise peut et doit créer un CDO, mais avec une roadmap. Aujourd’hui tout le monde fait du digital, il faut juste aller plus loin, plus fort.

Le risque pour une entreprise qui fait avec l’existant, c’est de faire seulement de la digitalisation. Il y a alors peu de chances que le modèle évolue. Il faut aller plus loin que la digitalisation. Digitalisation et changement de modèle, ce n’est pas forcément la même chose. Le rôle d’un CDO c’est précisément que ça marche ensemble.

Ce n’est pas la digitalisation qui a réinventé l’industrie automobile. Elon Musk, en 10 ans, est parvenu  vec Tesla à perturber les constructeurs automobiles.

Ce qu’il faut éviter c’est un CDO sans muscle.

La chance du TGV, dans le déploiement de sa stratégie numérique, ce ne fut pas le lancement d’un site en tant que tel en avril 2001. Ce fut plutôt la création d’une filiale, avec un vrai business, qui ne pouvait pas se contenter d’un simple canal web.

 

 

Tout se transforme. Les métiers du conseil y compris. Accenture va-t-il devenir une agence ?

 

Nous ne ferons jamais de la créa qui, comme le conseil, n'a jamais été aussi nécessaire. Nous ne ferons pas d’achat media non plus.

Ce qui est certain c’est qu’il y a une attente d’un autre marketing, d’un marketing plus authentique. Les métiers de la publicité évoluent.

 

La chaîne de valeur est bouleversée et doit être repensée, notamment les inducteurs de valeur sur lesquels le conseil est rémunéré.

L’importance des technologies dans la publicité appelle une approche de type business process management. Les questions comme « Le tagging a-t-il été implémenté ? La page a-t-elle été bien chargée ? » supposent la mise en place de process. L’exécution est de plus en plus le fait des machines, avec une dimension croissante du machine to machine. Le contrôle change, il ne s’exerce pas comme avant. Des acteurs comme Google et Facebook sont bien placés.

 

Le marketer devient en fait l’architecte de l'expérience des touchpoints.

La visibilité de la marque et des messages est gérée aujourd’hui dans un contexte de confusion, comme le montre la crise de l’adblocking.  Le métier de marketer est devenu passionnant, mais plus difficile. Ceci devrait se traduire par une meilleure valorisation des salaires.

Le point fort des agences reste le registre de l’émotion. Le nouveau marketing ne fera pas fi de l’attachement à la marque, et c’est le savoir-faire des agences de savoir créer et gérer cet attachement.

Le grand défi pour les grandes agences comme pour tous les acteurs du conseil, est l’intégration. La question est de savoir jusqu'où les agences qui font tout vont pouvoir tenir.

Chez Accenture, nous avons réussi à intégrer de nouveaux métiers. Nous sommes l’un des rares acteurs à couvrir un spectre complet, de la stratégie et du conseil à la mise en œuvre SI et la gestion des opérations pour nos clients.