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Quand l’illectronisme touche les dirigeants d’entreprises

Par Mathieu Flaig, Directeur Général de SYSK, cabinet conseil et formation en accélération digitale.

Crédits photo : Shutterstock

Avec l’avancée toujours plus rapide du numérique, le fossé se creuse fortement entre ceux qui sont à la page, et qui sont laissés sur le bord de la route. Au même titre que le fait de mal maîtriser la lecture, l'écriture ou le calcul est un profond handicap dans nos sociétés (illettrisme), ne pas savoir maîtriser le numérique est devenu un problème pour les individus (en 2022, 100% des démarches administratives seront dématérialisées) et les entreprises. Ce phénomène s’appelle l’illectronisme et il touche 11 millions de français.

De nombreuses entreprises ont ainsi accumulé une dette numérique sur les 30 dernières années, négligeant au fil du temps l’accompagnement des collaborateurs et la mise à jour nécessaire des infrastructures, des outils et des méthodes de travail.

Arrivées en 2020, ces entreprises sont confrontées à l’injonction de transformation numérique, comme si le phénomène était récent. Il n’en est rien : elles ont leur site Internet depuis plus de 20 ans, ont intégré l’informatique dans leur quotidien depuis bien longtemps, et se sont doucement endormies face à une nouvelle concurrence et des clients qui ne les ont pas attendus.

Dans ce contexte, des efforts importants sont menés pour acculturer les collaborateurs afin de les faire monter en compétences. Cette dynamique est nécessaire, mais il reste une population à qui on accorde encore trop de bienveillance sur ce sujet : les dirigeants.

Qu’ils soient membres du CODIR ou du COMEX, Top Managers… les raisons de ne pas vraiment les faire évoluer, ou les excuses qu’ils peuvent donner, sont nombreuses. En voici quelques-unes : 

  • “Son agenda est trop chargé, impossible de lui faire un coaching sur le sujet”
  • “Il part bientôt à la retraite, ce n’est pas la peine d’investir”
  • “Merci de créer et de gérer ses réseaux sociaux pour lui, ce sera plus simple”
  • “Politiquement, ça serait mal vu de le former dessus. Les autres pourraient voir ça comme une faiblesse”
  • “Ca me parait cher et on a aucune idée du retour sur investissement”
  • “Cela fait 20 ans qu’on fait le business comme ça, nous n’avons pas besoin du digital”

Par peur (49% des dirigeants d’ETI voient le digital comme un concurrent des canaux physique selon le baromètre Acsel 2019), par blocage politique (72% des dirigeants  français reconnaissent que la transformation numérique brouille les lignes hiérarchiques selon Apptio), par orgueil (il faut 20 à 30 ans pour devenir un dirigeant, il peut être difficile - mais pas impossible - de se remettre en question, et d’accepter qu’on ne sait plus tout), certains dirigeants se sont ainsi transformés en capitaines aveugles d’un bateau numérique. 

Pourtant, ils voient arriver l’inexorable vague numérique sur eux : selon le cabinet PWC, le déficit des compétences est ainsi le frein majeur à la croissance pour 41% des dirigeants français. Selon cette même étude, 85 % des entreprises françaises interrogées considèrent la transformation digitale comme un enjeu important, voire très important. En revanche, seules 18 % d’entre elles se déclarent en avance par rapport à leurs concurrents. Est-ce dû notamment à un manque de leadership sur le sujet, lié lui-même à un problème de compétences des principaux intéressés ?

Car même si l’enjeu est important, l’urgence ne semble pas de mise. Selon une étude de BPI, 47% des dirigeants de PME/ETI considèrent que le digital n’aura pas d’impact majeur sur leur activité avant au moins 5 ans (pour rappel, les PME représentent 99,8 % des entreprises en France…).  J’aimerais partager leur optimisme, ou leur aveuglement. Le réveil doit être un peu dur dans la période difficile que nous traversons, où le numérique est soudainement devenu pour beaucoup d’entreprises la seule façon de poursuivre leur activité.

Alors que faire ? Il y a tout d’abord un profond travail culturel à mener de la part des dirigeants, puisque c’est sur ce point que se joue en grande partie la transformation numérique.

Il est aussi essentiel de les embarquer avec une approche centrée sur le business. Les former, leur montrer la millième slide sur ce que font Amazon ou Google, n’aura pas d’intérêt pour eux. Il faut les amener à réfléchir aux problématiques digitales de leurs organisations, tout en leur donnant les clés pour le faire au mieux. Sans cela, les entreprises françaises perdront de précieuses années, et certaines d’entre-elles ne se remettront pas des mauvais choix, ou de l’absence de choix.


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